lundi 22 août 2016

Qu'est-ce qu'on est serrées, au fond de cette boite...

chantent les sardines, mais pas que: les Parisiens aussi! Avec une densité de population qui zieute vers le tiers-monde, Paname est surpeuplée. Résultat, des loyers hallucinants, des transports saturés et des clampins prêts à sortir les flingues pour un coup de klaxon. La faute à qui? A la centralisation!

Juillet 2016, avenue Daumesnil dans le 11ème arrondissement. En short hawaïen, Philippe bourre l'arrière de son 308, mais pas pour ses vacances à Palavas: « On quitte Paris, définitivement. Pourtant, ça fait 30 ans qu'on vit ici. Mais là, c'est plus possible: plus ça va, plus y'a de monde. En ce moment qu'il fait beau, t'as plus un centimètre pour poser ta serviette aux Buttes-Chaumont. Et je te parle pas du métro ou des courses le samedi. C'est plus vivable! » Sans blague! Avec ses 24 000 habitants au km², Paris arrive en tête des villes les plus denses du monde, derrière Calcuta en Inde ou Manille aux Philippines. Pour info, New York, c'est 7 000 habitants au kilomètre. « Et ici, dans le 11ème, c'est 42 000. C'est pas moi qui le dis, c'est les chiffres officiels de la mairie de Paris. » Damien Ferbland est agent immobilier, pas très loin de chez Philippe: « Paris est tellement attirant que les gens sont prêts à tout pour y habiter. Y compris à vivre les uns sur les autres, pour limiter les frais. On se retrouve avec des couples dans un studio prévu pour un, des familles de trois dans des deux pièces et ainsi de suite... Sans compter les collocs: à Paris, la moitié des T2 ou T3 sont des collocations. Et depuis quelques temps, même les séniors s'y mettent! » D'ailleurs, d'après l'Insee, à Paris, un appartement sur quatre est surpeuplé. Pour s'en convaincre, y'a qu'à regarder l'infographie d'Anthony Veyssière, un web designer qui s'est penché sur la surpopulation parisienne. Quand on clique sur sa carte de France, on voit un tout petit point bleu, Paris, et ses 2 millions 200 000 habitants. Et son équivalent ailleurs en France, soit une énorme tache orange au centre du pays, ou bien quasiment toute la Bretagne ou l'Aquitaine... Et c'est pas prêt de changer puisque la population de Paris intra-muros augmente gentiment depuis la fin des années 90. « Auparavant, plus on s'éloignait du centre, plus le rythme de croissance de la population augmentait », confirme Claire Juillard, docteur en sociologie et spécialiste de la ville. « Ce n'est plus le cas, puisque la ville intra-muros croît de nouveau et la petite couronne bat des records. »

D'accord, mais à part des queues d'une semaine à la caisse du Franprix, la surpopulation à Paris, ça fait quoi? Des embouteillages monstres par exemple, comme sur le périph', l'axe le plus fréquenté d'Europe. Tous les ans, les Parisiens paument 60 heures dans les bouchons. Et pour ceux qui roulent entre la porte de St Cloud et la porte d'Orléans, c'est pas loin de 80 heures, c'est-à-dire trois jours bloqués dans la Twingo avec Rires et chansons. Vitesse moyenne à Paris? 15km/h. T'as plus vite fait d'échanger ton V8 contre un Vélib. Et qui dit bouchons dit pollution. Du coup, le Parisien sans bagnole ou un peu écolo se rabat sur le métro: 5 millions de voyageurs par jour, 7ème réseau le plus utilisé au monde. Comme dit Rodolphe Macia, conducteur à la RATP et auteur de Je vous emmène au bout de la ligne, « Près de 600 métros circulent en même temps sur le réseau et chaque rame peut contenir jusqu'à 800 personnes. » Total, aux heures de pointe, on peut trouver jusqu'à huit personnes... au m². "Le problème, c'est qu'ailleurs, y'a pas grand chose" enchaine Damien Ferbland. "Passé le périph, les transports sont compliqués, les places en crèches sont pas faciles à trouver, les services publics deviennent moins bons. Faites le test: appelez la police à Paris et dans le 93. A Paris, une voiture arrive dans les 10mn, dans le 93... dans les 40! C'est pour ça qu'on veut tous habiter à Paris. Et c'est pour ça que les proprios peuvent se permettre de demander des loyers gigantesques, avec des grosses cautions, des gros garants. On n'en sort pas!" D'accord, mais on fait quoi?

« Au lieu de se demander comment loger tout le monde dans Paris, il faudrait réfléchir à comment faire pour que l'hyper-centre ne soit plus la seule zone attractive », estime Stéphanie Vermeersch, chargée de recherche en urbanisme au CNRS. En résumé, décentraliser! Une centralisation qui date de Louis XIV mais surtout de Napoléon qui décide un matin que la ville lumière sera la capitale administrative et politique de l'Empire, et tant pis pour les autres. « « Tout ce qui est bon pour Paris est bon pour la France », c'est ce qu'on disait chez les géographes français » font remarquer les étudiants de l'université catholique de Lille. « Politiquement, la centralisation c'est la volonté de l'État d'imposer un système d'administration uniforme et autoritaire, mais aussi le refus de laisser s'épanouir les particularismes locaux. Mais depuis quelques temps, beaucoup pensent que le poids et l'autorité de Paris sont trop importants et qu'ils freinent le développement de la province. D'ailleurs, si vous regardez, il n'y a aucune grande ville dans un rayon de 200km autour de Paris... » Mais dans les années 60, l'aménagement du territoire décide de changer tout ça en dopant les grandes villes de province rebaptisées "métropoles d'équilibre". Rebelote en 70: là, l'Etat veut en finir avec le fameux "désert français", à grands coups de centres d'affaire, d'hôpitaux régionaux et de lignes TGV. En 82, place aux lois Deferre sur la décentralisation, et en 2013... la même chose. Bilan? Moyen puisque Paris et l'Ile-de-France sont toujours le coeur économique du pays avec 1/3 du PIB français. Pour Damien Ferbland, « Jusqu'à maintenant, Paris a continué de grossir en raflant le pouvoir économique, politique, culturel, logistique... C'est pas le cas en Allemagne avec ses capitales au pluriel: il y a Berlin bien sûr mais aussi Hambourg, Cologne, Francfort ou Münich... » Confirmation de l'université lilloise, « la France est le seul pays d'Europe qu'on peut qualifier de « macrocéphale ». Paris est la tête, les provinces en sont les membres. Ailleurs, c'est pas le cas. En Espagne par exemple, vous avez Madrid et Barcelone. Au Portugal, Lisbonne et Porto... »

Dernier effort en date, la réforme des régions, 13 au lieu de 22. Pour Damien Ferbland, « C'est peut-être un début de solution pour faire émerger des grandes villes en province, comme en Allemagne. Mais il faut surtout que Paris accepte de lâcher un peu de pouvoir, à tous niveaux. On sait par exemple qu'il y a 200 000 œuvres qui dorment dans les sous-sols du Louvre. D'accord, on a ouvert un Louvre un Lens... mais aussi à Abou Dabi. Et Marseille, Bordeaux, Rennes...? La culture, les choses à faire le week-end, c'est aussi ça qui fait l'attraction d'une ville. Idem pour les grandes sociétés: pourquoi ne pas installer leur siège ailleurs qu'à Paris? Derrière ça, il y a aussi une histoire de snobisme." Chantent les sardines, chantent les sardines...