Trente ans
après les manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet, la mort
de Malik Oussekine hante toujours les mémoires. Ce soir du 6 décembre 86, il
est tabassé par des « voltigeurs », ces policiers à moto
archi-violents remis en circulation par Charles Pasqua, alors ministre de
l'Intérieur. Par Agostina Ziti et
la complicité du service « Police-Justice » de Scènes de chasse en
Bavière.
Hiver 86. Depuis plusieurs
semaines, étudiants et lycéens manifestent contre le projet de réforme des
universités: Alain Devaquet, le ministre de l'Enseignement supérieur veut
sélectionner les étudiants à leur arrivée en fac et faire rentrer les
universités en concurrence. Tous les jours, en marge des défilés, des
affrontements violents entre CRS et manifestants font des dizaines de blessés.
Le 6 décembre, après une
nouvelle manifestation qui réunit 30 000 personnes, des étudiants occupent la
Sorbonne. L'université est évacuée dans le calme, mais quelques étudiants
montent une barricade à l'angle de la rue Monsieur-le-Prince et de la rue de
Vaugirard, dans le 6ème arrondissement. Une équipe de « voltigeurs » est alors
envoyée sur place: des policiers à moto-cross avec pour mission de
« nettoyer » les rues en chassant les casseurs. L'un conduit, l'autre
est armé d’une matraque ou pire, d'une chaine.
Malik Oussekine, lui, est un étudiant franco-algérien
de 22 ans qui veut devenir prêtre. Il n'a jamais manifesté mais ce soir-là, ces
amis racontent qu'il « veut voir une manif ». En arrivant dans le Quartier latin, les voltigeurs
prennent en chasse les « casseurs » qu'ils croisent, mais aussi tous ceux qui
s'interposent. Les journalistes et les riverains aux balcons témoignent: la brutalité
des policiers est inouïe. À minuit, deux voltigeurs, le brigadier Jean Schmitt,
53 ans et le gardien Christophe Garcia, 26 ans, repèrent Malik Oussekine et se
lancent à sa poursuite. Affolé, l'étudiant s'enfuit rue Monsieur-le-prince et
croise un homme, au 20, qui tape le code d'accès de son immeuble. Jean
Bayzelon, seul témoin du drame, ouvre la porte à l'étudiant et tente de la
refermer sur les policiers, en vain: « Les voltigeurs se sont jetés sur le
type réfugié au fond du hall et l'ont frappé avec une violence incroyable. Il
est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le
ventre et dans le dos, alors qu'il criait « Je n'ai rien fait, je n'ai
rien fait! » » Jean Bayzelon s'interpose, reçoit des coups, jusqu'à ce
qu'il sorte sa carte de fonctionnaire des Finances. Les voltigeurs s'en vont,
remplacés par des journalistes qui constatent l'état de Malik Oussekine: « Il
était méconnaissable, impossible de dire son âge ou ses origines. »
Quelques minutes plus tard, le
SAMU donne les premiers soins à l'étudiant et le transporte en réanimation aux
urgences de l'hôpital Cochin. Mais d'après le rapport du médecin, Malik
Oussekine était déjà mort dans le hall de l'immeuble: en plus des coups, il
était fragile et souffrait d'insuffisance rénale.
En
apprenant la nouvelle, Alain Devaquet démissionne et le gouvernement retire le
projet de loi. Dans la foulée, le bataillon des voltigeurs est dissous. Trois
ans plus tard, les deux policiers sont condamnés à deux et cinq ans de prison
avec sursis. L'un est mis en retraite d'office, l'autre est muté. Charles
Pasqua, lui, refuse de condamner les méthodes policières. Depuis 2006, une
plaque commémorative est posée sur les lieux du drame.