samedi 16 septembre 2017

Le chômage, c'est la santé!

Alors que Pôle-Emploi vient d'accueillir son 3,5 millionnième chômeur, certains sans-tafs relèvent la tête. Plus question de bader l'après-midi devant les redifs de Poirot ou regarder ses pompes à la question "Et toi, tu fais quoi dans la vie?" Le chômeur 2017 assume son chômage et miieux, en profite. Sauf que ça plait pas à tout le monde.

J'ai bossé pendant sept ans chez Voyageurs du monde, une agence de voyage qui organise des treks dans le désert. Au début, c’était familial et puis la boite a commencé à grossir. On parlait « productivité », « rentabilité », je passais mon temps à envoyer des devis. Un jour, j’ai calculé mes Assedic et je suis partie. Aujourd’hui, je travaille pour une association caritative au Cambodge qui aide les enfants sourds et muets. On a mis au point un alphabet khmer, en braille ! » Tu pouvais aussi ramasser les bouchons de Volvic dans ton immeuble... « Et puis surtout, je passe un CAP-Tapissier, ma vraie passion. C’est drôle mais le chômage a répondu à ma quête de sens. » Charlène, 31 ans, est une « bomeuse ». « Ah bon ? » En tout cas, tu donnes tes rendez-vous Chez Prune, tu mates les séries danoises en VO, et surtout, tu vis bien ton chômage. « Parce que je prends plus de temps pour moi, je pars en week-ends… Avant, mes vacances étaient hyper timées et je recevais des mails à la plage. J’arrivais pas à décompresser. » Alors que là, tu te détends en lisant du khmer à des sourdingues dans un pays où y’a pas l’eau potable !

« Bomeur », pour « Bobo ET chômeur », c’est quoi ? « Un Parisien, 25-35 ans, qui avait un boulot cool et qui, du jour au lendemain, comme tout le monde, se retrouve au chômage. Sauf qu’il touche une allocation sympa et qu’il saute pas sur le premier job venu. » Pour le coup, Nathanaël Rouas, 31 ans et inventeur du mot, rentre carrément dans les critères : beu-bar, chemise en jean et Nike fluo, table de mixage à la maison. « Il y a trois ans, j’étais en Thaïlande avec des potes. Un matin, je checke mon Gmail : là, j’apprends que ma boite ferme. Jusqu’ici, j’étais directeur de créa, avec un très bon salaire. » Et t’es retourné crécher chez daddy pour passer les concours de la fonction publique ? « Pas du tout : j’ai accusé le coup et puis j’ai réfléchi. Avec mes indemnités chômage, j’ai passé mon temps libre à faire des expos et surtout à imaginer ce dont j’avais vraiment envie dans la vie. » Comme retrouver un taf décent et pondre un bouquin fendard sorti chez Robert Laffont sur la vie des bomeurs: « Après quelques mois d’apéros qui commencent à 17h00 au Mansart et de projets révolutionnaires « dont-je-ne-peux-pas-te-parler-pour-le-moment », je me suis rendu compte qu’on était plein dans ce cas-là. » Sans blague. « C’est politiquement incorrect, mais tous les chômeurs ne sont pas d’anciens ouvriers à la chaîne en Lorraine endettés jusqu’à la mort. J’ai plein d’exemples autour de moi de gens qui profitent de leur chômage pour faire le point, pour partir en tour du monde ou pour monter leur boite... Bref, pour devenir eux-mêmes et être enfin heureux. On a la chance de vivre dans un pays riche et très généreux avec les sans-travail... »

C’est bien vrai ! En 1967, Stone et Charden chantent Vive la France… qui franchit la barre des 400 000 chômeurs. Dans la foulée, Pompidou, le président de l’époque, ouvre l’ANPE, l’Agence Nationale Pour l’Emploi. Sa mission : recenser tous les chômeurs de France et les aider à trouver un boulot. Cinquante ans plus tard, bah... c’est foiré ! Malgré les emplois jeunes et les formations PAO, les ateliers relooking et les années d’attente au 3949, le numéro du Pôle-Emploi, on grimpe à 3 millions et demi de chômeurs, soit un Français sur dix. Sans compter les temps partiels, les intérimaires, les allocataires du RSA, les radiés, les adultes handicapés... Heureusement, quelques années plus tôt, De Gaulle a eu l’idée d’inventer les Assedic, une allocation chômage qui tombe à la fin du mois, calculée sur le salaire d’avant et le nombre d’années travaillées. Ça permet de voir venir. Ou d’en vivre. Dans son livre sorti en 2006, Thierry F., raconte sa vie de « chômeur professionnel ». En 26 ans, il a bossé quatre ans, payé sa voiture et son studio. Mais du coup, avec un taux de chômage à deux chiffres depuis un bon moment, l’Assurance chômage a quand même des fins de mois difficiles : 26 milliards de déficit l’an passé, 35 pour 2018. Alors, trop « payés » les chômeurs ?

Tout doux bijou : « 80% des chômeurs touchent entre 1 000 et 1 200 euros par mois. Et 15% touchent moins de 500 euros » rappelle l’Apeis, une association de chômeurs. « Ce que montrent ces chiffres, c’est que l’immense majorité des demandeurs d’emploi est en difficulté ». Pourtant, l’image du chômeur assisté qui passe ses aprèms en calbute sans chercher de boulot fait son chemin, surtout chez les politiques infoutus d’inverser la courbe. Résultat, depuis deux ans, Pôle-Emploi serre la vis aux sans-tafs, à coups de questionnaires salés, d’appels surprise et de convocations façon kommandantur. « C’est du flicage », dénonce Vladimir Bizet-Sefani, de la CGT-Chômeurs du Morbihan. « On demande aux chômeurs de rendre des comptes. Mais ce mois-ci, il y a eu 600 CDI signés pour 23 000 inscrits au Pôle-Emploi dans le Morbihan. Pôle-Emploi devrait plutôt contrôler la qualité des offres sur son site, où l’on trouve parfois quatre fois la même annonce. » Bim. « Nous ne supportons plus ces paroles de stigmatisation vis-à-vis des chômeurs, ces idées reçues véhiculées à longueur d’année, en particulier en période d’élection », enchaîne Thierry Kuhn, président d’Emmaüs France. D’où Chômage, précarité : halte aux idées reçues !, un livre-manifeste préfacé par Ken Loach, qui épingle vingt-six préjugés gogoles sur le chômage et les chômeurs, genre « Si les chômeurs cherchaient vraiment, ils trouveraient ! » Et rappelle au passage l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « Toute personne a droit au travail et à la protection contre le chômage ». Ça n’empêche, Macron promet la radiation après deux refus d’offres d’emploi « raisonnables ». Reste à s’entendre sur le mot « raisonnable ». Emilie est journaliste et pige pour plusieurs canards, mais elle reste inscrite au Pôle-Emploi pour les mois creux : « En quatre ans, j’ai reçu une seule offre d’emploi, vendeuse de shampoings bio au porte à porte. J’ai refusé, j’ai d’autres rêves dans la vie. Est-ce qu’àBac+5, je dois sauter sur le premier job de caissière pour sortir des statistiques et arrêter de culpabiliser ? » Bonne question.

Car si nos darons voyaient le chômage comme un chtar sur la bite, une partie de la jeune génération relativise et parfois même, en rit. Sur le site chomiste-land, on propose une carte officielle de chômeurs, photo à droite et bleu-blanc-rouge en travers. Sans oublier le commandement numéro 1 du RMIste: « Avant 14h, jamais tu ne te lèveras. » La base. « En France, on a fait en sorte que le chômage soit une maladie honteuse » raconte Sophie Hancart, rédactrice en chef du site actuchomeurs.org, un site engagé qui défend les chômeurs. « Mais c’est en train de changer avec la nouvelle génération. Avec la crise, on a beaucoup plus de chance d’être au chômage et surtout d’être au chômage longtemps. Alors, on fait avec. Et surtout, on coupe avec les conneries inculquées jusqu’ici, comme la valeur travail. » Jérôme Gautié, professeur d’éco à la Sorbonne et spécialiste du chômage, confirme : « La génération précédente vivait le chômage comme un traumatisme, avec le sentiment d’être inutile, d’être rejeté par la société. Mais ça change aujourd’hui. » Et des jeunes un peu plus détendus en période de chômage, c’est un coup de bol pour les politiques si on en croit Alexandre Hazeze, économiste : « Le chômage de longue durée va augmenter, avec les baisses d’allocations qui vont avec. Le vrai sujet, c’est ça. Regardez ce qui s’est passé en Grèce : les jeunes sont descendus dans la rue pour tout casser et un parti néo-nazi a été élu au parlement. Quand le chômage dure, c’est toute la démocratie qui est menacée. » Allez, au boulot les politiques !